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calme qu’à l’approche des soirs, quand elle s’acheminait vers la rivière.

Pour se donner une contenance, elle emportait d’ordinaire un tricot, un ouvrage de femme. Ses mains fiévreuses tremblaient en maniant les aiguilles.

La rivière, fermée par un long môle qui rejetait les courants sur la rive opposée, formait un étang d’une eau vaseuse et noire. Des herbes fluviales traînaient à la surface, retenant dans leurs réseaux des branches mortes, des détritus, des morceaux d’aiguilles de sapin, provenant des barrages. Du marécage, chauffé par le soleil, se levait une odeur fade d’eau croupissante. Sur les grèves, les vieux chalands achevant de pourrir barraient tout l’horizon de leur gouvernail.

De larges nuées traînaient à la surface de l’eau ; lambeaux de pourpre, ruissellements d’or, flambées de feu, qui faisaient dans l’eau noire un ciel chimérique.

Les deux pêcheurs arrivaient. La barque se détachait en noir sur les eaux lumineuses. On entendait le bruit de la chaîne lancée à toute volée sur le gravier.

Chaque fois Pierre avait un mouvement d’humeur, quand il la retrouvait à la même place, et il haussait les épaules. Ou bien il se décidait à lui dire bonsoir, un bonsoir très sec, qui lui coûtait beaucoup.

Elle s’écroulait dans l’herbe, comprenant bien que tout était fini, qu’il était buté dans son entêtement et dans sa rancune. Il était passé, sa haute stature n’était plus qu’une ombre mouvante dans la nuit. Elle restait là, le visage dans l’herbe mouillée, les mains souillées par la terre humide que les taupes rejettent, en creusant leurs galeries.