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nait, et cela se mit à tourner, dans l’air assombri, d’un vol silencieux. Puis deux ou trois formes pareilles apparurent, rayant la nuit du battement de leurs ailes. On les distinguait mieux : c’étaient des chouettes, dont les yeux phosphorescents jetaient des feux verts dans l’ombre. Leurs ailes ouatées n’éveillaient pas le silence. Une d’elles passa si près de Marthe qu’elle sentit sur son front la caresse de sa plume floconneuse. À un bruit que Poloche fit dans le fossé, elles disparurent comme elles étaient venues, muettes, furtives, et pareilles à des fantômes d’oiseaux.

Poloche s’était relevé, un large rire sillonnant sa face :

— Vous avez vu les chats-huants ? Hein, si on avait un fusil, comme on les dégoterait !

La nuit était tout à fait venue, transparente, baignant les champs endormis de sérénité confuse et de tendresse. C’était l’heure étrange et fantastique où, dans les sonorités cristallines de l’air pur, les moindres bruits s’amplifient démesurément, où dans l’ombre grandissante, un frissonnement de chaume devient subitement formidable.

Tout près d’eux une sente herbeuse, sous les arceaux des charmilles, s’ouvrait comme un porche gigantesque.

À chaque instant des bêtes déboulaient, gagnant la plaine ; des galops éperdus, des bonds épeurés, des fuites rampantes courbaient les tiges des graminées. Elles allaient toutes boire l’air frais, au creux des sillons, brouter le thym et les herbes odorantes des friches, et danser aussi au clair de lune, dans le mystère bienveillant de la nuit, loin des chiens qui aboient et des hommes qui tuent.