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Sous prétexte d’aller achever d’autres besognes, le garde l’entraînait d’un bout à l’autre de l’immense forêt, pour lui donner du mouvement et calmer sa fièvre.

Elle s’étendait sur tout le plateau lorrain, cette forêt, déroulant à perte de vue le moutonnement bleuâtre de ses masses de verdure. Jadis elle était bien plus vaste, au temps des grands cerfs, mais on y avait pratiqué de larges brèches pour la culture. Pourtant elle avait encore de larges horizons, des lointains brumeux, comme la mer. Par endroits, les grands hêtres descendaient le long des pentes, jetant dans l’air leurs troncs lisses, couverts d’écorce argentée, pareils à des fûts de colonne. Les soldats des forts voisins y avaient gravé leurs noms, et cela faisait des cicatrices profondes, noircies par l’écoulement des sèves. C’étaient les géants de la forêt, puissants et forts, plongeant dans la terre grasse leurs racines. Et des eaux suintaient à leurs pieds, parmi les mousses.

Des routes s’ouvraient, larges comme des avenues ; des ruisseaux couraient dans le fossé sous des herbes chevelues. Parfois une branche morte tombait dans l’épaisseur des fourrés. On entendait la fuite d’une bête inquiète, glissant au fond des taillis, avec un bruissement doux sur les feuilles.

À d’autres places, de larges pans de collines croulaient, couverts de sapins, formant un contraste émouvant au milieu de cet océan de verdure. Des brumes roulaient doucement sur les cimes aiguës, tombaient au fond du val, où toutes choses se noyaient dans une poussière lumineuse.

Midi sonna : les herbes lourdes de rosée, se desséchant, se redressaient peu à peu. Sous la flambée du