Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.

montaient quelques troncs de jeunes hêtres, qu’on avait épargnés. Tout autour, les bois profonds s’étendaient, envahis d’ombre, et des rais de soleil pourpre y pénétraient obliquement ; des vols d’insectes bruissaient dans une poussière d’or.

Dans toute l’étendue de la coupe, les géants abattus jonchaient le sol, ayant à leurs pieds de larges entailles, d’où suintaient des sèves : l’action de l’air les colorant, on eût dit des plaies ruisselantes de sang. Autour des souches restées dans la terre, de jeunes rejets avaient poussé, couverts de feuilles drues. Une végétation épaisse de reines des prés, de chardons épineux, de grands euphorbes laiteux aux fleurs verdâtres s’épanouissait, comme si la forêt s’était hâtée de cacher les blessures que les hommes avaient taillées dans son flanc, triomphant de leur acharnement à force de sève, de fécondité inépuisable. Et l’air et la lumière entraient à flots.

Les meules étaient dressées dans une place dégarnie : deux en pleine activité, recouvertes de terre grasse, de mottes de gazon, percées d’une cheminée d’où sortait un filet de fumée bleue, qui montait légère, dans le soir. Une était éteinte, et les charbonniers en retiraient les charbons, qui sonnaient dans leurs mains, avec un tintement métallique. Çà et là, de grands cercles noircis de braises, entourés de hautes herbes, montraient qu’on y avait construit des meules, les années précédentes.

Le père travaillait avec ses fils, deux grands gaillards, aux membres robustes, un peu déformés par le travail. Leurs yeux s’ouvraient très blancs, dans leurs bonnes faces de moricauds. Ils appartenaient à une