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LE VAMPIRE

porte d’entrée. On passait devant un comptoir en marbre blanc où se tenait la patronne, belle femme au type israélite qui commençait à grisonner. De là son surnom de « Poivre-et-Sel ».

Elle recevait l’argent et donnait des jetons de passes aux filles.

Dans le fond, était percé un escalier en colimaçon conduisant aux chambres de ces dames, chambres malpropres, où, à côté d’images obscènes, on était sûr de rencontrer un Christ, avec une branche de buis bénit. Comme tous les esprits faibles, les prostituées sont superstitieuses et craignent la mort.

À l’entresol était aménagée une sorte de buvette malpropre, avec des tables en chêne et des banquettes recouvertes de reps rouge. C’était là que se réunissaient les hôtes les plus crapuleux de la dame Poivre-et-Sel. Les initiés seuls y pénétraient.

Le café attenant à la maison était en bas, au rez-de-chaussée. C’est là que se tenaient les femmes disponibles. En haut, il n’y avait guère qu’une ou deux de ces « dames », comme elles se font appeler.

C’est de la petite salle du haut que nous nous occuperons, car là sont réunis Sacrais et la bande de Saint-Ouen, y compris le Nourrisseur.

Avec les bandits sont deux femmes demi-nues, dont une négresse. Elles vont de l’un à l’autre, prodiguant des paroles obscènes et se livrant à des caresses lascives…

Tout à coup, Tord-la-Gueule se leva :

— Dis-donc ! Irma-la-Nonne et toi, la Noiraude, vous allez déguerpir quand la Sauvage arrivera.

La prostituée qu’on venait d’appeler Irma-la-Nonne, parce qu’elle avait été élevée dans un couvent, la prostituée, disons-nous, fit un saut.

— La Sauvage ?… Elle va venir ici… Mais elle se fera pincer bien sûr !

— C’est pas ton affaire. D’ailleurs, tu sais bien que la mère Poivre-et-Sel ne lui laisserait pas arriver malheur !…

— Oh ! pour ça non, fit la négresse en clignant ses yeux avec malice, On sait ce qu’on sait.

— Eh bien, ma fille, dit Sacrais, garde-le pour toi.

En effet, dans la maison, on soupçonnait la mère Poivre-et-Sel et la Sauvage d’avoir des relations d’une intimité monstrueuse. Cette matrone avait pour la Sauvage des attentions d’amoureux. Elle la choyait et, quoi qu’il en fut, il était incontestable que son dévouement pour la jeune fille était absolu.

Deux nouveaux personnages pénétrèrent dans la maison et se dirigèrent vers le local retiré où se trouvait la bande.

Le premier était un homme de quarante ans, à la face laide et répugnante. Il avait un nez proéminent qui se détachait entre deux favoris très longs. L’œil à fleur de tête était terne et glauque. Une odeur de tabac et d’alcool se dégageait de ses vêtements. On l’appelait « l’Homme-qui-Pue. » Cet individu