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LE VAMPIRE

salle de danse, rendez-vous des rôdeurs de nuit. On appelait cela : le bal des Gouapeurs.

Notre homme dépassa rapidement l’entrée et entra dans l’établissement.

L’orchestre, composé d’instruments de cuivre, faisait rage. Une vingtaine d’individus hybrides dansaient frénétiquement en frappant du pied le plancher. La poussière formait un nuage qui enveloppait le tourbillon des danseurs.

La salle était mal éclairée par quelques lampes à pétrole. Au premier abord, on ne distinguait confusément que des ombres qui s’agitaient. Puis le regard s’habituait à cette lumière jaunâtre. Alors on apercevait un tableau hideux.

Les femmes, le corsage ouvert, laissaient voir la chair flasque de leurs poitrines et retroussaient outrageusement leurs jupes. Il y en avait qui jetaient leurs jambes en l’air devant la galerie, chahutant ; rivalisant d’obscénité.

Les hommes applaudissaient, se démenant et hurlant à qui mieux mieux. Cela, joint aux accords violents de l’orchestre, formait un tapage assourdissant.

Le nouvel arrivé s’orienta en habitué du lieu. Après avoir jeté un coup d’œil rapide dans la salle, il se dirigea vers le fond.

Plusieurs individus se tenaient à une table écartée, buvant du vin chaud.

— Voilà Sacrais ! fit l’un d’eux.

Le promeneur nocturne ainsi interpellé répondit simplement :

— Oui, c’est moi.

Et il prit place à la table, en regardant si personne ne les observait. Rassuré par son inspection, il reprit :

— Vous êtes tous ici, n’est-ce pas ?

— Oui, à part Zim-Zim qui est là-bas ?

Celui qu’on désignait ainsi était un joyeux compère, qui s’agitait avec de bizarres contorsions devant une fille absolument ivre, vautrée sur un banc.

— Eh ! dis donc, la Pouffiasse, lui disait-il, veux-tu pincer un de ces vieux rigodons des familles avec bibi ?

— Va donc, eh ! charogne… glapissait celle-ci d’une voix ordurière en essayant de se soulever.

Mais Zim-Zim, fort entrain, s’empressa de reprendre ses singeries au grand amusement de ceux qui l’entourait :

Mademoiselle,

Voulez-vous danser !
V’la l’bastringue,
V’là l’bastringue…

Mademoiselle,
Voulez-vous danser !
V’la l’bastringue

Qui va commencer…

Soudain, le regard du crapuleux farceur rencontra celui de ses compagnons