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LES MYSTÈRES DU CRIME

mieux ; mais là, entre nous, vous avez deux fois l’âge de bibi, et dam, faut combler la différence en belle et bonne galette. Quand on n’a plus ses dix-huit printemps, faut abouler du carme. Pas d’argent, pas d’amour. Maintenant, si j’ai découché c’te nuit, c’est qu’j’avais des affaires à conclure.

— Connu ! mon fieu.

— Possible, ma tourterelle, pensez-en c’que vous voudrez, au fait. Vous êtes pas forcée d’me croire. J’suis encore assez bête de vous répondre. Si ça ne fait pas suer, un vieux trumeau de ce calibre là qui m’fait des scènes de jalousie. Oh ! malheur !…

Et le jeune homme à la physionomie flétrie s’installa à cheval sur une chaise, pendant que la mère Peignotte, habituée à de pareilles scènes, maugréait quelques jurons, sans pourtant se fâcher bien fort.

Singulières étaient les relations de ces deux êtres. Madame Peignotte, qui tenait avec son mari l’hôtel et le débit de liqueurs, était une ancienne fille publique. À l’encontre de ses pareilles, elle était parvenue à se retirer avec quelque argent. Pour faire une fin, elle avait épousé le sieur Peignotte, un homme qui fermait les yeux sur sa conduite, à la condition de pouvoir s’enivrer chaque jour.

— Bah ! disait-il, les préjugés, c’est d’la blague.

L’abject amant de la dame Peignotte s’appelait le Nourisseur.

Ce nom, dans l’argot des voleurs, désigne celui qui cherche les mauvais coups à faire. Le Nourrisseur indique, moyennant une bonne redevance, soit un endroit à piller, soit quelqu’un à dévaliser. Jamais il ne prend de part à l’action. De cette façon, il touche le produit des vols qu’il organise sans encourir de dangers sérieux.

Il se mettait en campagne avec une adresse merveilleuse et il ne revenait jamais sans avoir en tête quelque bonne affaire à proposer à ses amis. Du reste, il évitait toujours de se compromettre et ne parlait jamais devant témoins. Ses complices étaient obligés de lui faire belle part après leurs entreprises, car il aurait pu, à son gré, les dénoncer à la police.

Dans ce milieu criminel on le méprisait, mais on ne laissait pas de le craindre.

Pour augmenter ses ressources, le Nourrisseur s’était fait l’amant de la vieille mère Peignotte, qui avait gardé un tempérament d’hystérique, en dépit de son âge avancé. D’ailleurs, ce jeune homme, blasé prématurément, trouvait dans ce commerce immonde une jouissance qu’aucune autre femme n’eût été capable de lui procurer. Cette dégoûtante mégère exerçait sur ses sens une attraction bizarre.

Le jeune organisateur de vols et de filouteries, bien qu’ayant constamment vécu dans les ruelles borgnes de la métropole parisienne, avait quelque chose des mœurs bourgeoises. Il était loin d’avoir la cynique et brutale franchise des