Page:Morphy - Le vampire, 1886.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LE VAMPIRE

Un matin du mois de mars, le jour parut pâle et blafard, dans la rue des Lyonnais. Il pleuvait continuellement depuis une semaine, et l’aspect des maisons était encore plus misérable que de coutume.

Huit heures sonnaient.

La mère Peignotte s’éveilla, se frotta les yeux, et descendit lentement de son lit où son mari dormait avec un ronflement éraillé.

Elle souleva un coin du rideau de la fenêtre pour jeter un coup d’œil sur la cour, puis elle le laissa aller et regarda la chambre en désordre d’un air maussade. La chaleur de la pièce était étouffante le poêle ayant brulé toute la nuit. Une odeur nauséabonde et épaisse se dégageait des vêtements graisseux et du linge maculé empilés dans les coins et sur les meubles.

La matrone secoua son mari.

— L’inspecteur va venir pour notre registre, tu sais, eh !

Le patron grogna.

— Elle m’embête, la police ; qu’est-ce qu’ils veulent encore, les roussins ?

— Allons, c’est bon, lève-toi.

Elle s’habilla en grommelant, puis alla retirer les volets de la buvette ; après quoi, fatiguée, ennuyée, elle s’assit sur un banc éventré placé derrière le comptoir de zinc, et s’accouda, ne se dérangeant que pour prendre quelques prises de tabac dans un cornet.

Le débit de vins et de liqueurs était digne de ses habitués ; le mobilier se composait d’un fourneau, de tables boiteuses et de chaises éreintées ; les carreaux disparaissaient sous une couche épaisse de saleté et de crachats. Il était impossible de distinguer, du dehors, ce qui se passait dans ce cabaret ; les clients étaient chez eux.

Comme la mère Peignotte s’assoupissait sur son comptoir, la porte de la boutique s’ouvrit, et un individu, vêtu d’un costume noir, usé et luisant, pénétra dans l’intérieur. La cabaretière, à la vue de ce personnage, quitta sa pose endormie et se croisa les bras en le considérant bien en face. Le nouvel arrivé pouvait avoir vingt-cinq ans, il était rasé et portait ses cheveux bruns très courts ; son teint plombé dénotait une existence corrompue. Il avança lentement en soutenant de son œil faux le regard irrité qui pesait sur lui.

— Eh bien ! de quoi ? vous allez pas m’avaler, je suppose ! fit-il en fourrant tranquillement ses mains dans les poches de son sale vêtement.

— C’est comme ça qu’tu le prends ? grogna la patronne ; alors, à nous deux, sainte flemme ! D’abord, tu vas payer ta nourriture, mon fiston, et tout de suite, et puis ta chambre, et puis ce qui s’ensuit, ou j’te fais coffrer, j’te dénonce ! Ah ! bougre d’animal ! t’iras nocer avec ma monnaie. En v’là assez d’cette vie-là… Tu vas me payer, entends-tu, mon p’tit ?

— Minute, la commère, faut pas s’emballer. Vous avez un béguin pour moi, c’est parfait. Nous f’sons des cornes au papa Peignotte, c’est encore