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LE VAMPIRE

— Monsieur, écoutez donc, lui avait-elle dit, venez avec moi. Il est tard, ce ne sera pas bien cher.

Caudirol s’était arrêté devant la prostituée.

Il était écrasé de fatigue. L’alcool qu’il avait bu lui montait encore au cerveau. L’ivresse, que le danger avait dissipée, revenait maintenant.

— Connais-tu un hôtel où l’on puisse aller à cette heure-ci ? demanda-t-il.

— Oui, rue des Anglais, répondit la fille.

— Chez toi ?

— Non, mais c’est égal, on y va à toute heure de la nuit.

Elle avait fait ses conditions : il devait payer la chambre et lui donner trois francs, mais tout de suite.

— On ne peut pas se fier aux hommes, disait-elle au commissaire de police qui l’écoutait au comble de la surprise. Le matin venu, ils fichent le camp sans vous payer.

Caudirol lui avait donné une pièce de cinq francs.

La fille lui sauta au cou.

— Je ferai tout ce que tu voudras.

— Eh bien ! je veux dormir, rien de plus. Cela te va-t-il ?

Passer une nuit tranquille était un régal pour cette malheureuse.

Elle conduisit Caudirol à l’hôtel dont elle lui avait parlé.

Ils eurent une chambre pour deux francs. Un garçon à moitié endormi les y conduisit après leur avoir demandé leurs noms pour la forme.

— Brochard, Louis-Auguste, quarante ans, mécanicien, déclara Caudirol.

La fille était connue dans ce bouge. On ne la questionna même pas.

Ils restèrent seuls dans une chambre aux meubles éreintés et crasseux.

La prostituée eut un étrange mouvement de vanité blessée :

— Allons, tu ne veux pas de moi ?

Caudirol craignit de paraître suspect.

Il affecta d’être ivre.

— Dame, c’est que j’ai mon compte, répondit-il en se couchant.

La femme se glissa dans le lit à son tour et s’endormit.

Au bout d’une heure environ, elle fut réveillée en sursaut. Caudirol avait un cauchemar qui le trahissait.

Il parlait avec incohérence des évènements de la soirée. Il prononça même le nom de la baronne de Cénac. Il se débattait contre des ennemis imaginaires.

Effrayée, la fille se leva et alluma la bougie. Alors, elle s’aperçut que son amant d’une nuit portait la tonsure.

Elle se rassura presque. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait accordé ses banales faveurs à un prêtre.

Elle se recoucha, assez intriguée cependant.