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LES MYSTÈRES DU CRIME

— Monsieur le commissaire, dit-elle avec une certaine gêne qui n’était pas exempte de franchise, je viens me faire arrêter… si vous ne voulez pas me rendre mon amant… Je suis…

— Vous êtes ?

— Je suis la maîtresse d’un jeune homme, pris avant-hier comme il me défendait contre des agents des mœurs, Il s’appelle Boulanger.

— Autrement dit le môme Émile, fit le commissaire en compulsant ses dossiers.

— Oui, monsieur, c’est cela.

— Eh bien, vous allez le rejoindre au Dépôt, Vous avez fait rébellion contre les agents, et, naturellement, vous n’êtes pas en carte ?

La fille se récria :

— Autant se jeter à l’eau tout de suite. Une fois en carte, on est moins que rien : partout et toujours il faut donner de l’argent aux inspecteurs de la police… sans ça on est empoignée. Il faut aller ici, là. Oh ! non, tout, mais pas ça, misère de Dieu !

— C’est bon. Vous n’avez rien à ajouter ?

— Non, à moins que mon amant ne soit remis en liberté.

— C’est impossible. Il est désormais à la disposition du parquet.

— S’il y avait moyen de le tirer de là, reprit la malheureuse, je vous dirais que l’abbé Caudirol n’est pas plus mort que vous et moi…

— Vous dites ? exclama le commissaire.

— Émile sera-t-il relâché ?

— Oui, certes, je m’y engage, si ce que vous dites a seulement l’apparence de la vérité.

— Et si je vous disais où se cache Caudirol ?

— Tenez, prenez ce siège et parlez. Vous n’aurez pas lieu de le regretter.

Le lecteur se rappelle sans doute que le « môme Émile » était ce souteneur dont le baron de Cénac avait partagé la cellule, au poste, après sa brutale arrestation.

La femme que nous voyons apparaître ici était sa maîtresse.

Voici ce qu’elle raconta à M. Véninger :

Son amant pris, elle s’était sauvée et avait cherché un « client » pour la nuit. Elle appelait cela un michet. N’en trouvant pas, elle avait erré une partie de la matinée, jusqu’à quatre heures environ.

Elle négligea de dire qu’elle avait dévalisé un ivrogne dans la rue Saint-Louis-en-l’Ile ; c’était elle, cependant, que Caudirol avait entrevue volant l’individu qu’il devait faire écraser un instant après.

Le hasard voulut que le défroqué rencontrât de nouveau cette fille, qui l’accosta dans le quartier Mouffetard.