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LES MYSTÈRES DU CRIME

De plus, le meurtre du gardien du cimetière devenait son œuvre.

L’évidence condamnait le malheureux.

Devant les juges les moins prévenus il eut été déclaré coupable.

Son honneur était à jamais perdu.

Le Docteur-Noir subissait avec courage sa captivité. Cet homme, que le malheur avait si cruellement frappé, s’était mis volontairement hors la société.

Il avait fait bon marché de l’horrible accusation qui pesait sur lui.

Sa dernière et suprême espérance était, non pas de recouvrer l’estime d’un monde qu’il méprisait, mais de se venger d’une façon effroyable de tous ses ennemis.

Il n’exceptait pas son frère de sa vengeance, et c’eut été pour lui un soulagement que d’apprendre le châtiment de ce misérable.

Toute sa vie de médecin avait été un sacerdoce. Il avait cru à l’humanité, au dévouement, au sacrifice. Aujourd’hui, seul, abandonné de tous, trahi, déshonoré, il rongeait son frein avec rage.

La haine de cet homme de bien, c’était de l’amour aigri au fond du cœur.

Il avait rêvé une société honnête et grande, sans alliage d’égoïsme et de crime.

Or, la hideuse réalité lui apparaissait.

Il se prenait à maudire l’espèce humaine. Il lui en voulait de ne pas être meilleure et la plus noire misanthropie envahissait son cerveau.

Sa mission de désintéressement et de bonté n’était plus, à ses yeux, qu’une naïve imbécillité, tant le malheur est propre à changer en fiel les plus nobles sentiments, chez les natures d’élite.

Il repassait son existence d’illusions, de désespoirs et de révolte.

Sans cesse, il s’était vu bafoué et insulté. Vivant à l’écart, il passait pour un monstre chez ceux-là même pour qui il se dévouait.

Le sinistre assassin de la rue des Gravilliers, Gaudirol, était libre, et lui, qui l’avait tenu en son pouvoir, il allait payer de sa responsabilité ses crimes abominables.

Pourquoi ne l’avait-il pas écrasé !…

Dans sa solitude une pensée persistante venait l’obséder.

Qu’était devenu son domestique, ou plutôt son ami, le brave Flack ?

Quelles souffrances endurait son fils adultérin Georges, chez le président Bartier ?

Il eut éprouvé un bonheur immense, dans son infortune, s’il avait pu apprendre que Georges était en sécurité dans sa maison de Noisy, entre Jean-Baptiste Fiack et Marguerite, ces fidèles serviteurs.