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Elle n’avait pourtant rien à gagner à l’esprit de révolte qui tout à coup se déchaîna. À l’imitation de la société qui se rebellait contre les règles de l’Ancien Régime et, d’un système que sa caducité erronait, se jeta dans un système qu’erronait sa nouveauté, son mépris insolent des grandes traditions, — la littérature nouvelle se rebiffa contre les règles de l’ancienne littérature et l’imprudente décréta l’abolition de toutes les règles, sans distinction. Il arriva qu’en haine de l’étiquette on supprimait l’Ordre lui-même : on ne sut pas conquérir le droit de sentir sans destituer l’esprit du droit de penser.

Telle est, en effet, la double caractéristique du Romantisme à ses premiers jours. Né de la tristesse dont souffrait la Pensée, restée si longtemps immobile, confinée en elle-même, il s’émut et rendit au Sentiment ses droits : c’est son vrai mérite et sa réelle action. Mais dépravé par la fatigue que la Pensée avait d’elle-même au delà de ses excès, par l’impatience des bornes que la Pensée s’était prescrites de peur de verser dans les fondrières de la licence, bornes où l’obéissance manquait d’air et dégénérait en servitude, le Romantisme déclara — effectivement sinon verbalement — que le tort était d’obéir, que le mal était de penser, que le danger était d’imposer à la nature humaine des bornes, et se précipita dans une agitation désordonnée qui devenait la parodie du mouvement :