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le flot rouge se soit perdu dans l’énorme masse cérulée.

Les fluctuations de l’art selon les fluctuations sociales s’expliquent donc par la même origine des unes et des autres. Il y a plus.

Cette fécondation de l’Art en conséquence des évolutions externes n’est peut-être pas indispensable au développement de l’idée esthétique, qui du moins n’en subit pas aveuglément et fatalement le contrecoup, mais accomplit, de période en période, une ascension qui s’affirme étrangère aux progrès hasardeux de la formule sociale. Car cette influence des événements sur les œuvres ne suffit point à expliquer l’esprit de suite, d’ailleurs inconnu à lui-même, qui fait que les phases de l’histoire esthétique ne se succèdent pas les unes aux autres indifféremment, mais qu’à chaque innovation dans l’Idéal correspond un besoin moins nouveau qu’encore insatisfait, une conquête de plus qui ajoute son personnel contingent aux dépouilles opimes des antécédentes conquêtes. — Sans doute, les événements de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe siècle n’ont pas été inutiles à l’éclosion du Romantisme : mais on peut croire qu’ils l’ont plutôt compromis que servi, quant à la direction qu’ils lui ont conseillée. Peut-être sans ces agitations du dehors la Pensée fût restée paralysée dans la torpeur où elle ne savait plus que feindre la dérision de gestes obcènes ou frivoles.