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férente admiration qui n’est point d’un croyant. Ce n’est pas tant l’inégalité des génies que la différence des sentiments qui fait qu’à lire Chateaubriand après Dante on a la sensation d’entrer en décembre au lendemain de juillet. C’est que Dante croit et que la Divine Comédie est une œuvre de religion militante, où rien n’est pour le charme, où la forme, comme un habit de combat, se modèle étroitement sur le fond : elle flotte dans Le Génie du Christianisme et dans Les Martyrs, comme un vêtement de parade. Çà et là dans les Harmonies de Lamartine l’enthousiasme du plus lyrique des poètes donne le change ; mais à regarder de près, là encore le sentiment est d’un mysticisme général qui s’extravase au delà des bornes chrétiennes, jusqu’à des sensualités, même, toutes païennes et où l’amour a plus de part que la foi. Les Méditations et les Harmonies sont moins les hymnes d’une religion vivante que ses délicieuses nénies. Comme Chateaubriand, Lamartine parle au passé dès qu’il parle religion, s’il précise ; en tous deux, il n’y a de présent et de réel que l’éternel fond passionnel de l’humanité, et pour conclure enfin, ce qui leur manque à tous, philosophes et poètes, c’est ce que les vrais chrétiens désignent par ces mots : le sentiment de la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ. La beauté les touche plus que la vérité de l’Evangile, et après eux les Poëtes