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géniale sottise d’un sage selon le monde ; et, cette voix de l’ange et cette voix de l’homme, c’est faire reconnaître, sans avertir, que c’est la voix d’un homme, que c’est la voix d’un ange : c’est donc imposer au rare lecteur la conviction qu’il est entré dans un monde étranger au tous les jours et à sa propre vie, puisqu’il a désormais les souvenirs d’une vie qu’il n’a jamais vécue, puisqu’il croit avoir dans sa mémoire un terme de comparaison qui lui permette de reconnaître la voix d’un ange ; — c’est, en d’autres termes, embellir d’illusion la vérité.

La Suggestion peut ce que ne pourrait l’expression. La suggestion est le langage des correspondances et des affinités de l’âme et de la nature. Au lieu d’exprimer des choses leur reflet, elle pénètre en elles et devient leur propre voix. La suggestion n’est jamais indifférente et, d’essence, est toujours nouvelle car c’est le caché, l’inexpliqué et l’inexprimable des choses qu’elle dit. D’un mot ancien elle donne l’illusion qu’on le lise pour la première fois. Surtout, comme elle parle dans les choses dont elle parle, elle parle aussi dans les âmes auxquelles elle parle : comme le son, l’écho, elle éveille le sentiment de l’expression impossible dans l’esprit de l’attentif, et jamais n’usitant la banalité stérile d’une écriture conventionnelle, elle fuit les termes scientifiques, froids ; plutôt que le nom d’une couleur dira l’effet, général ou