Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hommes honteux de l’avoir engendré : car, aux épaules sans plumes et aux âmes sans essor, un porteur d’ailes qui serait un enfant des hommes paraîtrait un monstre de qui la présence stupéfait et dénigre. Aussi, est-ce bien comme un monstre qu’il fallait introduire l’ange dans l’humanité comme le produit — guère plus anormal qu’un enfant sans bras — d’un cas de tératogénie. Et l’enfant monstrueux, honte de sa famille, grandira dans l’ombre, redouté, méprisé, prisonnier d’un cachot qui garde l’honneur du nom.

C’est une fiction, pour ainsi dire, réduite ; telle quelle, suffisante : et le plaisir promis de laisser voir le monstre conquérir son titre d’ange.

Comme il arriverait autour d’un saint s’il vivait parmi de résolus débauchés, autour d’un poëte s’il pouvait naître dans la rue du Sentier, autour de toute Exception enfin, l’être d’essor est un objet de haine pour tous ceux qui l’approchent, — sauf l’âme étrange de la femme qui a mérité d’être choisie pour produire cette délicieuse erreur de la nature. Et comme l’autorité du mari, qui ne pardonna point le miracle et faillit étrangler le nouveau-né fabuleux, interdit à la mère de voir son enfant, d’elle à lui des correspondances toutes mystérieuses s’échangent, qui la font vivre à son insu dans un monde inouï et qui laissent à l’ange des sentiments d’être humain, correspondances où s’anime autour d’elle et de lui la nature :