le plus populaire des poètes, A. de Musset, cherchant à définir la Poésie, le consacre tout d’abord :
- Chasser tout souvenir et fixer la pensée…
Ce devoir, pour le Poëte, de chasser le souvenir, afin de
mieux contempler sa propre pensée, devient un devoir, pour le
lecteur lui-même, s’il veut contempler à son tour la pensée du
Poëte.
Les multiples idées parallèles ou perpendiculaires, dans
l’esprit, à l’idée capitale, doivent s’harmoniser dans la musique
totale, varier sur le thème, accompagner la romance.
Il ne faut jamais peiner sur l’œuvre. Rien n’importe autant
que la fraîcheur de l’impression, première et souvent il arrive,
comme le travail manuel altère les mains, que le travail
spirituel déforme l’esprit : or des esprits déformés ne peuvent
produire que des œuvres dépravées. C’est pourquoi mieux vaut que
les vers soient écrits au paresseux clair de la lune qu’au
laborieux clair de la lampe. Mieux vaut suggérer l’idée telle qu’on
la vivait avant tout essai de réalisation que l’exprimer selon les
déviations fatales du labeur : à presser l’idée avec un
acharnement direct on l’émiette nécessairement. — Mais travaille
d’autant plus avant qu’il faudra travailler moins pendant
l’œuvre ; noircis sans compter des pages et des pages d’analyse,
afin de t’élever à la synthèse ; puis tâche de les oublier quand
tu l’auras atteinte.
L’œuvre d’art est une transaction entre le tempérament de
l’artiste et la nature.
C’est pourquoi elle doit avoir deux perspectives : l’une
naturelle et ésotérique, l’autre humaine et exotérique.
Mais cette humanité n’est pas le synonyme de la pitié, de cette évangélique sentimentalité anglaise (Dickens) ou russe (Dostoïevsky) qui préfère une goutte d’eau tombée des yeux d’un enfant à toute l’œuvre du génie. Il s’agit d’une humanité plus haute, fût-elle plus hautaine, moins tendre et plus forte, — de ce somnambulisme de la vie que ces deux mêmes roman-