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Le singulier, l’unité, c’est le nombre affirmatif et divin. Le pluriel décompose et nie. Les grandes époques artistiques disent : l’Art. Les époques médiocres disent : les arts. — Les grandes époques sont au commencement et à la fin des sociétés : d’abord le Poëte embrasse le monde d’un seul regard et d’une seule pensée et, ce qu’il pense, l’exprime par un seul geste. Puis les détails le sollicitent, et de simultanée, l’expression se fait successive. Pour cette tâche d’analyse, le Poëte, naguère le conducteur d’hommes aussi, et le prêtre encore, divise sa propre personnalité, descend du trône, quitte l’autel : le Poëte devient l’artiste. Mais l’artiste lui-même se partage ; peu à peu le symbole admirable de la Lyre se démode, garde un sens d’autrefois dans le chant silencieux des vers, enfin l’efface, et l’artiste devient l’artisan de la littérature, l’artisan de la musique, l’artisan de la peinture… C’est la période de division et de médiocrité. Mais peu à peu l’analyse, lassée d’elle-même, laisse l’artisan se ressouvenir de l’artiste, et l’artiste, dans un passé très antique, parvient à entrevoir la figure quasi-divine du Poëte. Alors va naître une grande époque nouvelle et dernière, et, comme l’analyse en avait détourné les arts, la synthèse va rendre l’Art à la primitive et centrale Unité. — Toujours faut-il compter, toutefois, avec les éléments d’éphémère qui constituent la vie, avec l’espace et