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— l’image populaire est si juste ! — la charrue devant les bœufs. La charrue est perfectionnée, les bœufs s’abâtardissent. Jamais les moyens n’ont été si étudiés qu’aujourd’hui ; le but est devenu indifférent. La foule est effrayante des ouvriers en rimes qui font le vers à merveille : mais qu’y met-on ? Il y a des procédés infaillibles pour composer un roman selon les formules romantique ou naturaliste : mais romantiques et naturalistes de la dernière heure ne semblent pas même se douter qu’il s’agit de tirer d’eux ce qu’jls ont de plus intime, de plus spécial, de plus inconnu aux autres hommes et à leur propre conscience pour en faire leurs romans. Et ces romans s’en vont tout juste comme allaient les vers de M. de Fontanes, au commencement de ce siècle, lourdement, dans des routes connues, plates, à des issues prévues, quelconques. Il y a déjà longtemps que la mode est de laisser les romans sans dénouer l’intrigue : eh bien, ce n’est qu’une mode, pire ni meilleure qu’une autre, plutôt pire, ayant pour cause première la haine de l’Imagination et le culte, devenu pure idolâtrie, du « document humain ». Non pas qu’on lui préfère les accidents de cape et d’épée ; tout se vaut, il n’y a pas d’extrémités dans le médiocre. Je constate seulement l’envahissement du métier dans l’Art, monstrueux phénomène qui, pour n’être pas d’aujourd’hui, a du moins aujourd’hui ceci de particulier qu’il ne s’avoue même plus, qu’il se