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passé, les mirages prophètes des futurs monuments : ce ne sont que les approches et les présages des magnificences de la Cité.

Et il chante cette Cité, et il marche au bord des eaux.

La guerre est hurlante dans les plaines, autour des monts. Il s’arrête et la contemple, il écoute les stridences des épées, les tonnerres du fer. Il frémit : ces hommes doivent combattre pour la Cité.

Et il chante cette Cité, et il marche avec les hommes.

Quand les troupes guerrières se sont tues, il passe dans les jardins en paix, les jeunes femmes l’admirent, le suivent : il porte un nimbe d’or, ses paroles exhalent un inconnu parfum, la brise en ses cheveux fait une harmonie. Il s’arrête : voici des transfuges de la cité.

Il leur demande sa route, les chante et marche.

Quand le Poète à longtemps marché, il est las de la route. Il rencontre une femme blanche, il la reconnaît. Elle s’avance vers lui : c’est elle qui va me conduire en la Cité.

Et il chante la Cité et s’endort dans le Rêve.

Édouard Dujardin étudia d’abord[1] des cas très singuliers d’extrémités vitales. Le style, pour des simplifications qui comportent de regrettables dépravations de la langue traditionnelle, avait toutefois comme le prix d’une spéciale enveloppe de ces choses spéciales. Puis, dans l’espoir double de réaliser le vrai réalisme, et d’accomplir la loi wagnérienne de ressentir dans leur totalité les sentiments à informer esthétiquement, Édouard Dujardin écrivit cet étonnant ouvrage, Les lauriers sont coupés, où il voulut noter, exactement et minutieusement, tous les faits, gestes,

  1. Édouard Dujardin, les Hantises.