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pour les petits, pour les simples… Essayez ! On parle, on n’écrit pas pour eux ; c’est une œuvre de charité qui n’a plus rien d’artistique, c’est la mission du curé de campagne et du maître d’école de banlieue, ce n’est pas la vocation du Poëte. Sur ce point, un illustre exemple contemporain me paraît tout à fait édifiant. Le comte Léon Tolstoï, l’admirable écrivain de Guerre et Paix, obéissant à l’esprit évangélique qui fait de lui une sorte d’apôtre libre ou de sacerdotal éducateur des moujiks, écrivit pour eux, dans leur langue, ce noir drame. Patte prise Oiseau pris, qu’on a baptisé en français La Puissance des Ténèbres et où il montrait le remords stérilisant le crime de ses bénéfices. Le poëte s’étant de tout son génie efforcé de se maintenir parmi les sentiments tout à fait rudimentaires, pouvait légitimement, selonles apparences, espérer d’être compris des spectateurs qu’il avait choisis. Il s’était bien trompé et les moujiks n’eurent que du mépris pour un criminel qui, de lui-même, se livrait à la justice, alors qu’il n’avait plus qu’à jouir de son crime. Et cela est logique ; la moralité en action, composé bâtard de la Fiction et de la Vie, n’a l’autorité ni de l’une ni de l’autre, ni la vertu du Sermon qui porte directement les flambantes clartés de la foi dans les consciences obscures et impose le respect, au nom de Dieu, ni la grâce vraiment sanctifiante du Poëme qui relève l’âme de sa triste faction, dans les boues ordinaires et lui donne