Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit, revête ces pensées troubles et doubles, lourdes et louches, cette conviction qui se dérobe, cette foi dans le doute, ce doute en pleine foi, plutôt cette foi doutante et ce doute croyant. Entre le fond et la forme je sens un écart anormal, inquiétant qui permet à la pensée des retours si imprévus, ce jeu si large. Chez M. Renan, le style, riche sans fasle, flotte autour de la pensée, nette ensemble et retorte. Il a de l’aisance grasse d’un prélat qui porte sans excès de gravité son costume austère et, d’esprit fin, ô diaboliquement fin ! jette avec élégance, comme de la poudre aux yeux, les grâces de son style dans l’esprit tiu lecteur pour y introduire du même coup des choses qu’on ne voit pas d’abord dans le prestige du sortilège ; — ou bien, profite d’avoir avancé ; dans une affirmation simple, une vérité incontestable et qui s’embellit de nous montrer un nouvel aspect, pour s’enfuir, par la tangente d’une incidente, et nous entraîner bien loin dans des voies moins sûres où nous ne l’aurions pas Suivi sans la confiance qu’il a su nous imposer. Mais au bout du chemin, au bord du fossé où la logique et notre impatience a’iaient le pousser, il se retourne paisiblement, avec un sourire tout phosphorescent d’ironie, et revient sur ses pas, nous ramenant au point de départ où se croisaient deux routes, — là nous laisse respirer, puis capte à nouveau, en l’émerveillant encore, notre confiance qui se lassait