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II

La contrée où j’aborde est la plus étrange du monde. Elle apparaît, de loin, dans ses brumes, tiède et pâle ; mais il ne faut pas s’en approcher beaucoup pour savoir qu’elle est située sous la plus ardente latitude : seulement, son soleil n’éclaire pas. De loin toujours, on croirait que c’est l’empire du repos et de l’indifférence ; et sitôt qu’on y regarde on voit bien que c’est un centre de terrible activité : seulement, de cette activité on ne saurait saisir le but. Des gens qui vont, viennent, pressés, empressés, avec un sourire qu’ils portent comme un masque. Ils vont dans les champs et n’en rapportent ni fruits ni fleurs. Ils effleurent tout et ne touchent rien. Ils font leurs dévotions tour à tour au temple de Jupiter-Ammon et à l’Église de Jésus-Christ. Sans foi, ils se plongent dans des études que la Foi seule autorise et féconde : aussi, dans l’instant, les prendriez-vous pour des ascètes et des Pères de l’Église et ils savent de Théologie autant qu’Origène ou St-Thomas : mais écoutez-les, l’instant d’après, « expliquer » l’extase par l’hypnotisme et le miracle par l’hallucination ! Ils sont gens qu’on aime, et des pays les plus lointains du leur — de la Pensée pure, de la Science, de la Poésie, de l’Action, — les rois et les capitaines viennent pour le plaisir de voir et d’entendre