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sien et l’infiniment moderne ; l’autre a renouvelé la litière des bergeries de Florian (il l’a faite en varech, voilà bien de l’adresse !) ; tous deux écrivent aussi mal à peu près l’un que l’autre, ils ont l’esprit également en vacance de toute pensée profonde et de toute idée belle, avec cela beaucoup d’expérience, une connaissance vérifiée des goûts du public : en vérité, je les verrais, non sans plaisir, ces habiles gens, s’entendre pour se jeter de l’un à l’autre — balle élastique dont chaque bond sonne de l’or — ce public contemporain qui ne mérite rien de mieux. L’un l’énerverait, lui ferait respirer sa capiteuse essence de parisine, l’autre le reposerait en un bain d’eau marine, parmi les senteurs du varech amer ; l’un serait la ville et l’autre la villégiature ; ou bien, si l’un l’assassinait, le tartarinait de rire à Tarascon ou sur les Alpes, l’autre, avec ses grands horizons et ses « légendes naïves », lui rendrait l’âme sereine, fraîche, — et de cette arrangement qui se fâcherait[1] ?

Pauvre génération ! Car c’est pitié, en effet, de

  1. Je ne prétends point que M. Loti n’aijamais entendu conter, dans ses voyages, une jolie légende ; il nous l’a répétée : merci. Mais il n’y a, Dieu ! pas là de quoi dire avec M. Bourget : « Le divin Loti. » — Je ne prétends point que M. Daudet n’ait jamais trouvé un mot exquis : j’en sais plusieurs de tels, même dans L’Immortel, à propos de la Seine. Mais il n’y a pas là de quoi mériter à cet agréable conteur, tout fait de petits artifices et qui ne pense pas, l’énorme et quotidien honneur de lire dans les journaux son nom entre ceux de M. de Goncourt et de M. Zola.