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mais avec quelle timidité, avec quels stérilisants scrupules procédait Sainte-Beuve et comme il oubliait d’effacer les traces de son procédé ! Chez M. Verlaine, aucune de ces macules du travail : la Poésie bat des ailes et s’enchante. « Elle pourrait désigner Verlaine, cette observation de M. Taine : « La forme semble s’anéantir et disparaître ; j’ose dire que c’est le grand trait de la poésie moderne. » Et c’est, qu’on y prenne garde, par la bonhomie de son génie, par la suprême sincérité de sa simplicité que Verlaine fait de son vers cette chose envoléeéparse au ventsans rien qui pèse on qui pose… cette chose d’art où la forme, en effet, s’efface pour laisser triompher, dans les harmonies et les nuances de leur profonde réalité, comme au delà, presque en dépit du langage, les sentiments ou les sensations suggérés avec toute cette force enveloppée de douceur. Par ainsi fonde-t-il la distinction réelle des vers et de la prose ; ceux-ci étant d’essentielle synthèse, la synthèse musicale et picturale de l’objet à suggérer, tandis que celle-là, analytique, sauf des cas, qu’elle soit symbolique ou directe, décompose l’objet en ses éléments constitutifs. — Pour Verlaine le Vers demeure le Vers, l’être intangible et frémissant dont il avait appris de maîtres forgerons, Leconte de Lisle et Banville, et Baudelaire lui-même, à forger l’armure, et quelques-uns des plus célèbres alexandrins qu’on citera dans