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ment dit que la Beauté suppose la Vérité, qu’un jour l’homme se laissera guider par celle-là vers celle-ci, je ne le crois pas très hostile à cette pensée. Enfin, autant que Gérard de Nerval lui-même, quoique avec une conscience plus maîtresse de soi, M. de Banville a le sens du merveilleux, l’inquiétude du miracle perpétuel de la vie, l’admiration de la femme autant pour l’inconnu qu’elle recèle que pour les délices de sa beauté[1]. Il a frémi lui-même du grand frisson de la génération jeune qui veut savoir là où les ancêtres ont douté. Il sait que l’Art se fonde désormais sur une métaphysique profonde et il assiste, en témoin qui admire et comprend, qui connaît ces belles souf-

  1. « Ainsi, dans le calme silence des nuils, aux heures où le bruit que fait en oscillant le balancier de la pendule est mille fois plus redoutable que le tonnerre, aux heures où les rayons célestes touchent et caressent à nu l’âme toute vive, où la conscience a une voix, où le poète entend distinctement la danse des rhythmes dégagés de leur ridicule enveloppe de mots, à ces heures de recueillement douloureuses et douces, souvent, oh ! souvent ! je me suis interrogé avec épouvante et j’ai frémi presque dans la moelle de mes os. Et quand on y songe qui ne frémirait, en effet, à cette idée de vivre peut-être au milieu d’une race de dieux, parmi des êtres qui lisent peut-être couramment dans notre pensée quand la leur se cache pour nous sous une triple armure de diamant ! Quand on y songe… Le mystère de l’enfantement leur a été confié et peut-être le comprennent-elles.. Peut-être y a-t-il un moment solennel où, si le mari ne dormait pas d’un sommeil stupide, il verrait la femme tenir entre ses mains son âme palpable et en déchirer un morceau qui sera l’àme de son enfant. »