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d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine, se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter «comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois en chantant ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ? Je le répète, c’est certainement que cet homme a pour âme la Poésie elle-même, et dès lors je ne m’étonne plus de cette jeunesse éternelle, de cet esprit lyrique, qui jongle avec les mots, les forçant à décrire d’harmonieuses, imprévues et significatives courbes, si profond qu’il se laisse croire ingénu. — Le Poëte des Exilés et des Odes Funambulesques a sauvé le Parnasse du possible ridicule où son allure guindée l’eût entraîné et, sachant que la Mélancolie n’est pas le dernier but de l’Art, lui a ouvert le chemin vers cette aurore où tout se rajeunira: la Joie. Ce mot suffirait par indiquer le rang magnifique de ce Porte : il a la Joie ! — la joie des idées, la joie des couleurs et des sons, la joie suprême des Rimes et