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delà de leurs âmes : l’Art, par eux, fait un grand pas vers sa mission divine. La Beauté qui console par sa seule présence, ou qui du moins donne encore la force de vivre, n’est-ce pas déjà une Religion ? Quant aux religions révélées, Flaubert ni M. Leconte de Lisle n’y pensent plus guère, du moins quant aux religions dites vivantes, à leurs yeux mortes depuis longtemps. Ils n’essaient même pas de reconstruire l’appareil d’une vie sociale dominée, inspirée par une grande foi ou de nous montrer le beau duel de la foi chrétienne et de l’amour. Pour eux cet Évangile est plus mort que ceux qu’il a tués et c’est à ceux-ci, plutôt, qu’ils demanderaient une réponse, ou à d’autres encore qu’il n’a même pas soupçonnés. Saint-Antoine nous montre un cœur torturé par la vision des Paradis de la Vie ; Salammbô est la prêtresse de Tanit. M. Leconte de Lisle interroge l’Art védhique et les religions de l’Antiquité grecque et latine. L’Art empruntant aux perfections de la Forme le frisson consolant d’une Religion de la Beauté, — la Pensée remontant à ses Origines pour leur demander l’aliment métaphysique de cette Beauté, — voilà le plus précieux apport de ces deux Poëtes au trésor moderne. — Après cela, si on parle de Flaubert, c’est pour vanter son « objectivité », et de M. Leconte de Lisle, son génie de peintre, de paysages et d’animaux, et son impassibilité. J’ai déjà dit que l’Art est essentiellement et uniquement subjectif. L’impassibilité fut une vérité qui est une