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son œuvre d’art, et dans une œuvre d’un art qu’il renouvelle de fond en comble, il ne fait pas converger comme à leurbutnaturel toutes ses croyances et tous ses rêves, toutes ses amours, toutes ses haines, tout son désir de bonheur. Cette façon de décerner au christianisme un brevet d’utilité sociale puis de s’en passer, en réalité, dans l’œuvre, ressemble au système d’arche sainte de Descartes. Au fond, la vraie Religion de Balzac, c’est son Art, et sa vraie Vérité, c’est celle qu’il aperçoit dans l’humanité et qu’il tâche de dégager. On ne parle jamais avec bonheur que de ce qu’on croit. Si Balzac était allé jusqu’à la fiction pure, il y eût exalté jusqu’à une Religion de l’Art son idéal de vérité humaine : dans des œuvres comme Séraphita — sublime réponse à ceux qui l’accusaient de « considérer l’homme comme une créature finie » — il effleure ce suprême domaine, cette terre promise où il n’entrera pas. Mais lui-même, n’en a-t-il pas conscience ? Je le crois. Il sait ce qui lui manque et peut-être considère-t-il son œuvre magnifique ainsi que les assises de réalité de l’œuvre d’art de l’avenir, de l’œuvre de rêve ! N’est-ce pas le sens des singulières paroles qu’il laisse échapper dans sa dédicace de Séraphita à madame Éveline de Hansk ? Il souhaite que ce roman nesoitlu que par des esprits « préservés des petitesses mondaines par la solitude : ceux-là sauraient y imprimer la mélodieuse mesure qui man-