Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à n’être pas un homme, à se laisser, comme Gœthe, accuser d’hypocrisie et d’égoïsme, alin de pouvoir, loin du bruit des passions, élever ce monument dont nous parlait Vigny. — Sénancour, le génie flottant, irrésolu et désolé, entre les rêves de l’esprit et les besoins du cœur, sans satisfaire l’un ni l’autre, mais avec pourtant des plaintes, des murmures d’ombre où je sens plus d’àpre sincérité que dans les cris de tels bien vivants. La disproportion de son désir et de son pouvoir, en d’autres termes, le mal d’espérer, voilà, comme de toute autre tristesse en ce temps, une cause principale de la tristesse de Sénancour.

    comment se fait-il qu’après les chants d’une voie émue, après les parfums des fleurs, et les soupirs de l’imagination, et les élans de la pensée, il faille mourir ? et il se peut que, le sort le voulant ainsi, on entende s’approcher secrètement une femme remplie de grâce aimante, et que, derrière quelque rideau, mais sûre d’être bien visible à cause des rayons du couchant, elle se montre sans autre voile, pour la première fois, se recule vite, et revienne d’elle-même, en souriant de sa voluptueuse résolution. Mais ensuite, il faudra vieillir.. Si j’arrive à la vieillesse, si, un jour, plein de pensées encore, mais renonçant à parler aux hommes, j’ai auprès de moi un ami pour recevoir mes adieux à la terre, qu’un place ma chaise sur l’herbe courte, et que de tranquilles marguerites soient là devant moi, sous le soleil, sous le ciel immense, afin qu’en laissant la vie qui passe, je retrouve quelque chose de l’illusion infinie. — La vie réelle de l’homme est en lui-même, celle qu’il reçoit du dehors n’est qu’accidentelle et subordonnée. Les choses agissent sur lui bien plus encore selon la situation où elles le trouvent que selon leur propre nature, »