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val… On pourrait me demander quel trait commun assemble ces Poëtes. De trait commun, ils n’ont que celui-ci : ils ont écrit de 1820 à 1840 — à peu près — pour les générations qui devaient les lire aux environs de 1880. Le Rouge et le Noir, Les Destinées, Obermann, Le Rêve et la Vie, — nos Bibles ! À leur naissance, des livres ignores.

Stendhal, un esprit constructeur, aigu, nerveux, psychologue infaillible, moderne, presque indifférent aux lignes, sensible à l’expression de l’âme, à la physionomie, doué, plus que quiconque, du sens intime de la vie, n’ayant ce sens que la plume en main, inventant la vérité avec une prodigieuse certitude. Sa plume était cette baguette des fées, talisman qui indique où gît le trésor. Il y a de tels hommes — Balzac, Stendhal — qui savent la vie, avant d’avoir vécu : leur âme est un microcosme où, pour voir le monde, ils n’ont qu’à regarder. Peut-être même ne vivent-ils jamais ; quand ils sortent de leurs rêves, ce n’est que pour des préoccupations secondaires ou disproportionnées, — Stendhal pour des tentatives de succès mondains qui lui échappent, Balzac pour d’énormes entreprises commerciales qui l’écrasent : mais ces mêmes esprits que la vie berne, rentrés dans leur atmosphère de poètes, savent et démontent les plus secrets rouages de cette vie ; l’un enseigne l’art d’obtenir les triomphes qu’il n’a pas, l’autre fait vivre des hommes d’affaires dont les visages sont