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croire que la Pensée soit inutile. Il fait oublier la vie qu’il oublie. Ses personnages et ses paysages ont autre chose que la vie, ils ont la magie des apparences ; ce sont des tableaux et des statues. — Et l’œuvre du magistral ouvrier nous est indifférente et précieuse comme une galerie de Musée : on y peut venir étudier les prodiges, surprendre les secrets de l’art. Mais c’est un dangereux séjour pour quiconque n’a pas dans l’âme une flamme bien ardente. Une simple Nouvelle nous expliquerait mieux que ses plus longs livres et qu’aucuns commentaires le tempérament de Théophile Gautier. Non pas que Fortunio soit son chef-d’œuvre, — et cette expression n’a pas de sens, avec Gautier : il n’a fait que des chefs-d’œuvre ! — mais le sujet de Fortunio offrait ce hasard qu’ayant à traiter, là, de passion et de passion très violente, Gautier « extériorise » cette passion elle-même, la rend par des tons et des sons, des couleurs et des gestes. Ses personnages sont des machines admirables, ou plutôt de véritables andréïdes. Il y a une petite phrase très caractéristique : « Fortunio promenait sa main sur le dos de la Cinthia, mais avec le même sang froid que s’il eût touché un marbre. » Il y a tout le Romantisme dans cette petite phrase. Qu’a-t-il fait autre chose qu’inspirer une vie de convention à de belles — ou grotesques, mais le grotesque est l’autre face de la Beauté — formes mouvantes, mais non pas émouvantes, parce qu’el-