Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est guère qu’un esprit : pourtant Chateaubriand l’admire et le consulte comme le plus sûr dépositaire de toutes les certitudes où il voudrait retenir les générations qui viennent ; — celui de qui émanera, mystiquement, la grande synthèse moderne, écoute, en Joubert, l’écho pur et profond du passé — encore purifié et encore approfondi par un esprit doué de sens critique et ouvert aux souffles du Futur.

Théophile Gautier dort pendant qu’on joue Racine, mais, la pièce finie, il se lève et, si on le lui demande, sur cette pièce qu’il n’a pas écoutée il écrira, sans y réfléchir, le plus éblouissant des feuilletons. C’est que pour Gautier peu importe le sujet, peu importe la pensée. De sujet il n’en cherche point : « Qu’est-ce qu’ils vont encore me faire faire ? » Et il ne pense guère à ce qu’il va écrire. Pense-t-il jamais ? Il peint des formes en mouvement et qu’il a le bonheur de voir belles. Mais la vie intérieure de ces formes lui échappe, c’est pourquoi il ne peint pas vivant : il peint mouvementé, beau et froid. La passion, quand il en parle, est toujours secondaire, du moins quant au mérite du rendu, sinon quant à la valeur de l’objet. Sa sensualité est grossière et banale. Son esprita, parfois, de la curiosité : quelle profondeur ? Mais sa main, ses yeux sont extraordinaires. Ils font oublier l’âme absente. Gautier pense si peu que parfois le prestige de son talent apprête à