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comme on meurt sur le théâtre classique : des âmes qui s’évaporent. Chez les Romantiques, c’est une poupée qui se casse à tout propos, pour tout, pour rien, pour commencer comme pour finir et dans un beau geste. Mais Emma ! Elle meurt comme nous mourons, — à l’heure où nous n’avons plus en nous que la vie évanescente des sens, à l’heure où l’esprit s’est déjà voilé, où les yeux ne trahissent plus que la douleur animale, le désespoir physique de l’organisme qui s’agite pour retomber inerte, définitivement. Emma n’a guère jamais eu d’âme, elle ne peut perdre que la vie qu’elle avait ; mais il émane de cet empoisonnement, à le lire, une contagion de nausée. — Concluons : qu’avons-nous trouvé dans Madame Bovary ! Une œuvre objective et logique, c’est le procédé ; une œuvre sensationnelle et physiologique, c’est le fond. — Est-ce une exception ? Mais dans les autres romans naturalistes, reconnus tels par l’École, que trouvons-nous encore, toujours et principalement, sinon uniquement ? Comment nous apparaissent les personnages de Germinie Lacerteux, de Madame Gervaisais, du Ventre de Paris, de L’Assommoir, de Nana, des Sœurs Vatard, de Boule-de-suif, d’Une Belle Journée, du Nommé Perreux ! Quels mobiles les font agir ? À quoi pensent-ils ? Quel est leur monde intérieur ? — Ils n’en ont point, ils ne pensent à rien, leurs mobiles d’action sont dans leur bile ou dans leurs nerfs. Ils n’ont pas de rêve, pas de joie. Ils sont tristes,