Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et vit le sentiment où jusqu’à lui on n’avait vu que la pensée. Voilà, quant au fond. — Quant à la forme, il remua la vieille langue et lui donna les allures de la vie. Il tua la périphrase. Il démomifia le vers classique et le vivifia par plus d’exactitude à la fois et de liberté, par le respect de la rime et l’enjambement. Il songea au mot propre, idéal illusoire, mais utile. Il inventa la prose plastique, dont le chef-d’œuvre est cet introuvable Gaspard de la Nuit d’Aloïsius Bertrand.

III. LA SENSATION SEULE


Comment, aulendemainde son enfance, l’homme moderne fut-il si vieux ? Car il faut être vieux pour s’intéresser exclusivement à sa sensation, pour l’observer et l’analyser, pour la suivre dans ses causes, ses accidents et ses effets. — L’homme moderne se fit vieux par réaction. Après la grande orgie de bruit et de couleur du Romantisme, il eut honte. Il sentit la nécessité de se prendre à quelque chose de solide, de connaître le fond des choses dont il avait, si légèrement, parlé sans rien savoir. — Ce fond des choses humaines, il crut le trouver dans les raisons physiques de la vie et entra dans les laboratoires et les salles de dissection. — Quel brusque changement ! Hier on n’entendait parler que de cape et d’épée, de grandes passions, de grands crimes et chacun s’en allait au loin cher-