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mouvait un jardin mystique : c’est le paradis naturel ; demi-voilée, demi-défaillante avec un sourire, la défaillance et le sourire de la volupté qui se recueille, une femme y passe, marchant d’un pas harmonieux et dont le jardin s’enchante. Elle est sans mystère. Ce n’est ni l’armée rangée en bataille, ni l’enfant malade. C’est une lumière autour d’elle illuminant tout, c’est un éclair vivant qui donne à cette nature qui l’admire, et dont elle est l’incarnation aimable, le reflet de sa grâce et jusqu’à l’indulgence de son propre accueil. Car nul effroi, dans ce jardin des doux rêves, où pourtant une croix se dresse, mais elle est tressée en fleurs. Son ombre n’est qu’une fraîcheur sans horreur. Cette croix n’enténèbre pas cette nature qui invite et qui aime, au sein toujours ouvert : et dans cette atmosphère de voluptueuse religiosité, le Poëte prie comme un élu. Il prie vers la croix : mais il ne la voit guère qu’au miroir des yeux d’Elvire, — une Béatrice qui serait elle-même le Paradis, et c’est la divinité réalisée dans la structure humaine qu’il adore. Un jour[1] il l’avouera : les arbres du jardin et la croix en fleurs auront disparu, la femme jaillira de ses voiles et, se multipliant, laissera le rêve du poëte s’éblouir d’un palais de splendides corps féminins. — Au delà du Jardin clair, il y a la morne Ville. Lamartine n’y entre pas.

Il aime mieux attendre la mort au Jardin…

  1. La Chute d’un Ange.