Chateaubriand pressentait l’avenir. — Dans René nous ne voyons — encore ! — qu’un révolté, plus faible à la fois et moins violent que ses émules byronniens. Le sentiment même qu’il a de la nature est plus voulu que sincère, et Chateaubriand a fait à ce sujet un aveu qu’il est bon de retenir : « Trop occupés d’une nature de convention, la vraie nature nous échappe. » Un révolté aussi, Werther, le plus faible, le plus désolant et le plus dangereux de tous. Ces deux livres sont de désespoir : on a compté combien parmi leurs lecteurs se sont tués et j’ai déjà dit que la mort est la conclusion logique du désespoir. — Or, de ces deux suprêmes génies, qui font le parfait et complet Janus Geminus de l’Esprit Moderne, le Romantisme comprit et aima surtout ces deux pages imparfaites et où ni l’un ni l’autre n’avaient donné l’expression complète des révélations qui étaient en eux. Qu’on m’entende : je ne dis point que de Gœthe et de Chateaubriand ces deux pages seules furent connues. Tout ce qu’ils dirent retentit au loin et fut célèbre. Ils sont, à l’ouverture du siècle, des dieux qui obligent à l’hommage et qui étonnent la critique. Mais par ces deux pages, entre toutes, ils eurent sur l’immédiat instant d’alors leur immense influence : le reste s’adressait à l’avenir. Si les contemporains lisent Faust, c’est sans le comprendre et, comme Byron (qui d’ailleurs ne connut que le Premier
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