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Romantisme s’en remet volontiers aux arbres et aux rochers de protester contre Dieu : dans son for intime, il accepte très bien les choses comme elles sont. — Or, quand le paysage aura cessé de plaire, quand ce décor (il ne sera pas longtemps neuf, prodigué comme il est) aura vieilli, quand on sera décidément las de ces castels en ruines, de ces âpres montagnes, de ces arbres échevelés et qui crispent sur un fond de ciel sanguinolent leurs branches comme des bras maudits, quand on ne voudra plus pour rien, nulle part, d’une lyrique barque de corsaire, ni d’un poétique corps de garde moyen-âge, ni d’un dramatique burg démentelé, — restera le drame lui-même, qui n’est ni la passion, ni l’homme, qui est une puérile complication d’incidents violents et vides, qui est un inutile grossissement, jusqu’à l’invraisemblance, de sentiments quelconques, qui n’est, à parler vrai, rien du tout — et dont on se contentera en le renouvelant, grâce à deux recettes qui sont les secrets de deux Écoles : l’École du bon sens et l’École de la thèse. Toutes deux prétendront se contenter de la vie telle qu’elle est, et toutes deux la feront mentir. Toutes deux perdront jusqu’au soupçon de la Beauté et ne prêcheront qu’utilité. Le Bon Sens (c’est encore le sens commun qu’il faudrait dire) exagérera la laideur, la platitude et la banalité de la vie, en fera un songe plus chimérique mille fois que le Paradis de