et vers le passé. De là cet innombrable sillage de navires de poëtes, dans tous les sens, vers toutes les solitudes, au Nouveau-Monde, en Grèce, à Jérusalem, en Orient, — Chateaubriand, Byron, Shelley, Lamartine, Gautier, Nerval, d’autres encore ! — Je veux que dans cette sorte de sauve-qui-peut il y ait une part de ce noble et naturel sentiment du génie évitant le contact des hommes inférieurs. Lamartine a dit : « Tout Poëte se fait dans l’âme une solitude pour écouter Dieu. » Oui, dans l’âme ! Mais est-ce bien la solitude de l’âme qu’Harold cherche ? Je crains qu’il se fuie lui-même, qu’il cherche plutôt un spectacle où se distraire du désir d’infini qu’il a dans l’âme. Et puis il y a du vrai même dans les calomnies : il ne dépend pas du poëte que les fables de malheur où il se plaît soient autre chose que des fables. Il est homme d’action et ce n’est qu’à défaut d’action qu’il se résigne aux rêves. En somme — et jusqu’aux lâchetés du cœur et de la chair qui l’arrêteraient sans doute en deçà — il préférerait au récit l’émotion réelle des crimes qu’il raconte. Du moins en a-t-il cette réalité : la délectation intime. — Il ne s’agit pas ici de cette vieille controverse close dès toujours, à savoir s’il faut être capable des atrocités qu’on peint pour bien les peindre. Nous étudions un homme, homme avant d’être poëte, nous faisant d’atroces peintures où le mal a pris des masques de beauté — généro-
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