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il avait voulu être grave, il avait été furieux : avant d’atteindre à la gravité, il devait subir l’horreur de ses récents souvenirs. Il en eut l’horreur, non pas le repentir ; il n’accepta pas avec simplicité l’expiation par la tyrannie, il ne s’accusa pas d’avoir à demi stérilisé la Révolution par la Terreur : il resta révolté, mais un révolté de théâtre. Tout en démêlant vaguement la vérité et l’erreur dans la fameuse formule de Rousseau : « L’homme naît bon, la société le déprave,[1] » il affecta de garder rancune à la société qui l’avait dépravé et d’en profiter pour se dépraver davantage : par le culte du désespoir. Il n’y a pas de passion pire que celle-là, plus inhumaine, plus diabolique.

Le mot du désespoir est Jamais, quand le mot de l’humanité est Toujours. Tout autre était la tristesse chrétienne qu’exige la Contrition, cette tristesse qui se moissonne en Joie, cette tristesse qui n’abaisse l’homme que pour le relever, qui ne lui fait toucher du pied le fond de son propre abîme que pour qu’il se hâte de remonter à la surface. L’homme moderne paya cher l’audace qu’il avait de renoncer à la Contrition ; il en garda, comme

  1. La première de ces deux propositions a ceci de vrai : qu’il est bon de dire à l’homme qu’il est capable de bonté, car c’est lui rendre cette intime confiance sans quoi sa volonté resterait stérile et lâche. La seconde a ceci de faux : qu’il est mauvais et illogique de dire à l’homme que la société n’est en lui qu’un facteur de mal et de malheur, puisqu’elle est nécessaire et puisque c’est lui qui l’a faite.