Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

énormes et d’autant plus irrésistiblement risibles qu’on les lui dira plus sérieusement, ne le suivait pas toujours jusqu’en ces audaces et Shakespeare dut, le plus souvent, se soumettre aux lois du genre et aux préférences du parterre : elles l’ont gêné. — À la distance d’un peu plus d’un demi-siècle nous voyons donc Shakespeare et Racine toucher aux extrémités de leur art, en constater les insuffisances : Shakespeare sentirait l’unité de sa conception fictive brutaliser la luxuriance naturelle de son génie, et peut-être aussi l’importance de l’appareil matériel compromettre la suprématie nécessaire de sa pensée ; — Racine s’étiolerait dans une atmosphère qui s’est trop raréfiée autour de lui, sans lui laisser prise et repos dans l’appareil matériel, puisqu’il l’a supprimé, et sa pensée par trop nue, son étude par trop restreinte aux développements logiques des passions perdrait sa consistance et se volatiliserait. — On pouvait espérer que le génie de la race qui a produit Racine, s’il lui était donné de connaître Shakespeare, sans perdre ses qualités propres, sans l’imiter, lui emprunterait l’idée heureuse d’élargir à l’image de la vie la conception générale, et, sans matérialiser celle-ci, de l’affermir par quelque apparence où l’œil pût se satisfaire, sans que l’esprit se désintéressât. Il n’en fut rien.

Il eût fallu, pour que cela pût être, que ceux qui dirigeaient le mouvement romantique eussent,