Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains de Voltaire, la Science, qui prescrit avant tout le silence et le respect, ne rendit qu’un bruit de mépris et de vanité. — D’Angleterre Voltaire rapporta encore Shakespeare : une barbarie amusante, une bizarrerie plaisante. À Shakespeare non plus qu’à Newton Voltaire ne comprit rien et ce fut un de ses chagrins de voir l’engoûment de ses compatriotes pour le grand Philosophe et le grand Poëte dépasser les bornes qu’il eût voulues. Cet engoûment toutefois n’était que de l’engoûment. Que pouvaient les Français du XVIIIe siècle aimer dans Shakespeare ? Ils eussent aussitôt cessé d’être les Français du XVIIIe siècle s’ils avaient vraiment aimé et compris Hamlet et le Songe d’une nuit d’été. Ils placèrent la traduction de Letourneur entre les œuvres de Crébillon et de Florian, gardant certes à ceux-ci la préférence, estimant l’un plus tragique et l’autre plus sensible.

Le XIXe siècle commence et les Romantiques se réclament de Shakespeare. L’a-t-on beaucoup mieux compris dans le Cénacle que dans les boudoirs ? — Guère ! Du moins guères plus profondément. On le lut avec des yeux plus jeunes, non pas plus pénétrants. On vit, dans son théâtre, le Mouvement, l’importance de l’appareil matériel, les coups de poignards et les fioles de poison, le sang qui coule, les manteaux sombres, la machination du drame : toute l’extériorité. Quant aux éléments quasi-divins du génie de Shakespeare,