Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux-là. Il faut être avec les habiles et les rusés contre les imprudents et les malheureux. Il faut garder ce qu’on a, comme la Fourni, et savoir refuser à l’emprunteuse ; il faut, comme le Renard, ménager les grands en les trompant, et se moquer d’eux, et leur sacrifier les faibles. Quelquefois, il est bon d’obliger, mais non pas à l’aveuglette et sans savoir qui l’on oblige : consultez l’Intérêt. Obligez la Fourmi, qui a des qualités d’économie et qui est armée : vous pourrez avoir besoin d’elle. Envoyez danser la Cigale qui n’a su que chanter tout l’été… Mais le plus laid et le plus significatif caractère de La Fontaine, c’est sa haine de toute grandeur. De bien trompés ont voulu voir en lui l’apôtre des petits, se rappelant cette morale des Animaux malades de la peste :


Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.


Mais plaint-il l’Âne que tout à l’heure il va nous montrer ridicule auprès du Petit Chien ? Plaint-il même l’Agneau dévoré par le Loup ? C’est une question. Je crains qu’il en veuille surtout au Loup d’être fort. N’est-il pas pour la patience et la longueur de temps contre la Force qu’il accouple naturellement à la « rage » ? Ne fait-il pas odieusement berner le Lion par le Renard ! Dans la grandeur et la force il ne voit que tarage et l’arrogance : le Chêne offre sa protection au Roseau et cela