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Laissent parfois sortir de confuses paroles :
L’homme y marche à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Le mérite de La Fontaine, ce qui lui donne droit de cité dans l’avenir de son siècle, dans le présent aujourd’hui, ce qui justifie l’enthousiaste admiration qu’a pu lui vouer un poëte comme M. Théodore de Banville, ce n’est pas la qualité de sa pensée : c’est son style. Le style de La Fontaine dépasse presque toujours sa pensée et parfois lui prête un spécieux nimbe de rêve qu’on prendrait pour de la Poésie. À ce point que M. Taine a pu l’estimer le plus vraiment Poëte des Poètes français, et nul en effet de son temps, bien peu depuis ont eu ce don de l’harmonie naturelle, qu’on croirait née d’elle-même, qu’on ne saurait décomposer. Il a tout à la fois le sens du rhythme et le sens de la phrase. Il est admirablement lyrique et admirablement ordonné. Son vers semble plus près de la prose que celui de Racine et en est en réalité plus loin. C’est une musique logique et légère, bien proche parente de cette musique que recommande, à deux siècles — encore — de distance, un maître de ces tous derniers temps[1] et moderne entre tous :

De là musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en-allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
  1. M. Paul Verlaine.