Page:Morice - Aux sources de l'histoire manitobaine, 1907.pdf/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 96 —

de cette tourbe, et que personne ne fut jamais inquiété pour la part qu’il avait prise à ce meurtre.

Les individus qui agissaient d’une manière si légale (!) avaient constamment à la bouche des paroles d’horreur pour l’exécution du rebelle Scott. Il va sans dire que c’étaient ses frères en fanatisme, c’est-à-dire des orangistes. De fait, la première loge de cette société secrète fut érigée au Manitoba moins d’un mois après l’arrivée de Wolseley. Elle était composée d’officiers et de soldats volontaires venus de l’est. Comme il n’y avait point alors dans le village de Winnipeg de local pour les initiations, on se réunit dans un petit voilier à l’ancre dans l’Assiniboine, et, détail significatif, on voulut s’y servir de la table même sur laquelle Riel avait fait ses écritures au fort Garry. « En moins de deux ans, » dit l’historien R. Hill, « cette loge augmenta au point qu’au commencement de 1872 elle comprit plus de 200 membres, et fut regardée comme la plus nombreuse du Dominion[1]. »

Quoi d’étonnant alors si l’hostilité contre l’élément catholique et français eut bientôt pris des proportions qui menacèrent d’allumer une guerre civile au pays ? L’autorité fédérale s’était à peine consolidée à Winnipeg, qu’un mandat d’amener était lancé contre Riel par un juge de paix qui « commanda » formellement « de lui apporter le corps » de ce dernier, mort ou vivant (31 décembre 1870). Le nom de ce digne magistrat mérite de passer à la postérité. Il s’appelait John-J. Sutter. Soit dit à l’honneur des autorités manitobaines de ce temps-là, ce mandat fut annulé, et Sutter dut rentrer dans la vie privée.



Un autre Ontarien dont le nom mériterait de l’accompagner au pilori de l’histoire prit, trois ans plus tard, une part active au fameux procès d’Ambroise-D. Lépine, l’ex-adjudant de Riel. Chassé de son pays natal pour une cause inavouable, cet étranger, qui était un homme de loi, arriva au Manitoba vers la fin de 1871.

Un soir de cet hiver-là, vers huit ou neuf heures, un certain personnage non affilié à la secte était pour contourner un coude que

  1. Manitoba, p. 588.