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damné à six mois de détention, sentence qui, dans les circonstances, était excessivement légère[1].

Et pourtant, un mois après[2], une double pétition qui avait réuni un total de 530 signatures, demandait la rémission de la peine du condamné. Comme le magistrat (qui était alors le juge John Black) ne pouvait en conscience accéder à cette requête, une troupe d’hommes pénétrèrent de force dans la prison le 20 avril et en délivrèrent Corbett, qu’ils reconduisirent en triomphe au sein de sa famille à Headingley[3].

Parmi ses libérateurs se trouvait James Stewart, le maître d’école protestant de la paroisse de Saint-James. Pour la part qu’il avait prise à cet acte révolutionnaire et anti-social, on lança contre lui un mandat d’arrêt et il fut incarcéré. Mais le jour même deux métis anglais allèrent réclamer au gouverneur non seulement sa libération immédiate, mais encore une promesse d’amnistie pour tous ses confédérés, ajoutant qu’ils étaient prêts à user de la force, quelles qu’en pussent être les conséquences, si on n’accordait pas volontairement leur demande.

Pour entraver la marche du mouvement d’insubordination, on leva alors un corps de volontaires. Mais avant qu’il eût été en état de faire respecter les arrêts de la justice, un groupe de trente hommes armés libérèrent Stewart ; après quoi ils déchargèrent leurs armes dans l’air comme chant de victoire.

  1. Loin de moi l’intention de jeter la pierre au malheureux. Ces détails n’ont d’autre but que de montrer combien injustifiable fut dans la suite l’action de la populace à son sujet.
  2. Il avait été condamné le dernier jour de février, et les pétitions furent dressées au commencement d’avril. Un auteur canadien qui rapporte l’affaire est donc trop indulgent pour la populace anglaise quand il dit que son élargissement forcé eut lieu « trois mois après la condamnation du coupable » (Hist. de l’Ouest Canadien, p. 151). Il n’y avait guère plus d’un mois et demi qu’il avait été condamné.
  3. Comparez avec ce mépris de la justice, dans un cas de culpabilité patente et sans circonstances atténuantes, la conduite de la population française à l’occasion du procès d’un pauvre malheureux père de famille poussé à une action qui avait eu un résultat imprévu. Un Canadien du nom de Paul Chartrand vivait à la Pointe-aux-Chênes, de la manufacture du sel, lorsqu’un voisin en état d’ivresse le soumit à tant d’indignités que, n’y tenant plus, il lui donna dans le côté un coup de ciseau dont il mourut dans la suite. Chartrand, qui était un fort gaillard, ne nia rien ; mais il soutint que la provocation qui avait précédé son acte irréfléchi avait été au-dessus des forces de la patience humaine. Condamné à neuf mois de prison, il en fut libéré au bout de six, par suite d’une pétition couverte de signatures, et sans que son incinération eût donné lieu à aucune menace ou à aucun acte illégal de la part de ses compatriotes.