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sa part assez de désintéressement, et d’impartialité pour assurer le respect de ses décisions[1] ? Il s’était en outre rendu particulièrement odieux aux métis par une série de lettres qu’il avait publiées contre les Canadiens-Français avant son arrivée à la Rivière-Rouge. Il ne comprenait pas leur langue, et n’avait jamais consenti à nommer un interprète français quand un jury mixte était nécessaire. Pour ces différentes causes, et, malgré ses qualités incontestables comme jurisconsulte et littérateur, ses jugements ne pouvaient commander l’assentiment tacite auxquels les arrêts de la justice ont droit dans toute société bien ordonnée.

Dans cette célèbre journée du 17 mai 1849, la cause de Sayer fut la première appelée en cour. Sommé de paraître devant le tribunal, l’inculpé qui était sous la protection d’un groupe d’hommes armés ne bougea point. Comme l’emploi de la force eût précipité une catastrophe, les magistrats s’occupèrent alors de différentes choses étrangères au cas du prévenu, et à une heure de l’après-midi, celui-ci fut de nouveau sommé de comparaître, mais en vain. Fort embarrassés, les membres du tribunal crurent de bonne politique d’user de conciliation. On proposa donc aux amis de Sayer de le faire accompagner d’une députation pour l’aider à plaider sa cause, proposition qui fut acceptée sur-le-champ.

Onze métis commandés par Riel escortèrent le prévenu en cour, pendant que la masse des manifestants restaient dehors. Riel déclara alors que la population réclamait l’acquittement du prisonnier, et ajouta qu’il accordait au tribunal une heure pour prendre une décision, après quoi les métis se feraient eux-mêmes justice si justice n’était pas faite auparavant.

Ce laps de temps écoulé, Riel réclama d’une voix forte l’acquittement de l’inculpé, et comme on lui faisait remarquer que le procès n’était pas fini : « Il n’a pas de raison d’être, cria le tribun. L’arrestation de Sayer est injuste dès le commencement, et je déclare qu’à partir de ce moment Sayer est libre. »

Des applaudissements frénétiques, qui se répercutèrent bientôt parmi la foule stationnée aux alentours du fort, suivirent cette

  1. Il n’était pourtant pas complètement dénué d’intégrité, puisque, peu après (1860), il donna gain de cause à un officier militaire contre un bourgeois de la Compagnie qu’il condamna à 300 livres d’amende. Mais l’anomalie de sa position devint bien évidente lorsque le gouverneur de la Compagnie, mécontent de ce jugement, prit des mesures pour le faire remplacer comme juge (Manitoba, par Robert-B. Hill, p. 123).