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Enfin, et si paradoxale qu’une telle assertion puisse paraître, il ne faut pas toujours attacher à l’exactitude des hypothèses, sur lesquelles repose une théorie, une importance exagérée. Il peut, en effet, fort bien arriver — l’histoire de l’optique en fournit maints exemples — que la forme d’équations obtenues à partir d’hypothèses reconnues erronées « résiste », suivant une expression de Henri Poincaré, aux modifications qu’il convient de faire subir à ces hypothèses pour les adapter à de nouvelles conceptions ; si bien que M. Pantaleoni n’a pas craint d’affirmer qu’il importe peu que l’hypothèse hédonistique, d’où se déduisent toutes les vérités économiques, coïncide ou non avec la réalité, parce que c’est là une question qui ne touche pas à l’exactitude des vérités qui en sont déduites[1]. Et en outre, fut-elle entièrement fausse par suite d’une erreur initiale, une théorie établie avec soin facilite encore les progrès de la science, perpétuel devenir, en lui indiquant « un chemin à ne pas prendre »[2].

Tout en ne prétendant pas attribuer aux procédés mathématiques l’infaillibilité dont les économistes littéraires, pourtant si sceptiques à cet égard, paraissent redouter qu’ils ne donnent l’illusion[3], on ne saurait donc proclamer a priori la faillite de l’économie mathématique en alléguant l’incertitude des résultats auxquels ils conduisent, et il est par suite légitime d’examiner quelle contribution ces procédés ont apportée à la science.

  1. M. Pantaleoni, Principii… [p. 154], p. 15. Cpr. V. Pareto, Manuel… [p. 143], App. § 138.
  2. E. Bouvier, Revue d’économie politique, numéro de décembre 1901, p. 1059.
  3. Cf. H. Hadley, Yale review, III, p. 254 (cité par M. Block, op. cit.) ; J. K. Ingram, Histoire…, [p. 36], ch. v ; p. 260 ; E. Levasseur, De la méthode... [p. 33], I, pp. 294-295.