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Voici en effet ce qui s’est produit de chaque côté de ce fossé.

Les mathématiciens, épris de rigueur par profession, et ne travaillant souvent que « pour la seule gloire de la pensée humaine», selon l’expression de l’un d’eux, se soucient en général fort peu de voir faire des applications pratiques, et par là nécessairement très approximatives, de leurs théories. Et puis, conscients de la délicatesse de l’instrument qu’ils ont construit, ils redoutent toujours d’être rendus responsables des résultats fâcheux auxquels pourrait, en des mains inexpertes, aboutir l’emploi de cet instrument au traitement de matières inappropriées. Or, les sciences sociales sont évidemment parmi celles qui semblent le plus mal se prêter à l’application des procédés mathématiques, puisque ce sont les dernières pour lesquelles on ait songé à les utiliser. Aussi, en général, les mathématiciens ne se sont-ils départis de leur indifférence à l’égard de l’économie politique que pour lui contester plus ou moins complètement le caractère de science mathématique. C’est ainsi, par exemple, que dès l’apparition, en Italie, des premières tentatives mathématico-économiques, un mathématicien d’une assez grande envergure si l’on en juge d’après ses œuvres, l’abbé G.-B. Venturi, n’a pas hésité à condamner ces tentatives à l’occasion des Meditazioni sull’ economia politica de Pietro Verri, annotées par Frisi[1] ; que plus tard Joseph Bertrand s’est ingénié[2] à réduire à néant les théories de A.-A. Cournot et de L. Walras, le principal précurseur et le fondateur de l’économie mathématique moderne ; et qu’enfin de nos jours, M. P. Pain-

  1. D’après A. Montanari, La teoria matematica del valore e uno scrittore emiliano del secolo scorso, Reggio-Emilia, 1891.
  2. Cf. III, I, 4.