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secondes seulement, pour avaler un doigt de vin trempé d’eau qu’on était venu lui offrir.

Car c’est encore un des détails caractéristiques du pèlerinage dansant, que les habitants de la ville se chargent de rafraîchir gratuitement les danseurs altérés. Des seaux de vin circulent, et tout le long de l’itinéraire des femmes debout tendent des verres demi-pleins à qui les veut prendre. Les pèlerins acceptent, boivent et rendent le verre sans même remercier, tant la force de la tradition leur fait considérer la chose comme une obligation imposée à leurs hôtes.

Le défilé dura trois heures durant, divisé par masses de danseurs devant lesquelles une fanfare, un trio ou un violoneux seul quelquefois marquait la cadence. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, tous les âges se trouvaient là représentés, paraissant avoir tous la même foi robuste. Dans chaque peloton distinct, deux ou trois malades se traînaient, appuyés au bras de parents complaisants. Même, dans un des derniers groupes, une femme atteinte du terrible mal attirait tous les regards et faisait naître sur son passage force commentaires. Grande, le corps maigre et presque sec dans le ballottement de son vêtement à longs plis, le visage émacié et les cheveux gris roulant sur les épaules, elle sautait tout d’une pièce comme sous l’impression d’un puissant ressort, touchait des pieds le pavé et rebondissait violemment. Dans ce mouvement, qu’elle paraissait accomplir sans en avoir le moins du monde conscience, ses yeux clos et sa bouche mi-ouverte donnaient à sa physionomie un air d’extase. Immobile et comme raidi dans un accès de paralysie, le bras droit était étendu, dans l’attitude du prêtre qui bénit.